… que tu finis dans la voiture, siège passager, lampe torche dans la main droite, torsion du buste vers la gauche, bras gauche tendu en arrière pour apaiser le petit en lui donnant la main… et soudain le conducteur te demande ta carte bleue parce qu’on arrive au péage.
Vous avez le tableau : une posture de yoga ultime + une gymnastique intellectuelle intense — alors alors, ma CB dans mon sac, mon sac par terre, moi besoin deux mains, moi devoir lâcher main du petit mais garder torche pour fouiller dans le sac, moi réveiller le petit si moi pas tenir sa main donc attendre le dernier des derniers moments.
Comment fait-on pour se retrouver dans cette situation ? Je suis sortie un instant de mon corps pour nous regarder, nous adultes, nous parents. J’ai pensé aux miens, je me suis dit qu’ils avaient probablement déjà vécu ça : rentrer de nuit sous une pluie battante d’un automne frais, le chauffage hors-service, la buée plein le pare-brise, l’air conditionné activé pour la retirer, frigorifiant mais efficace, le GPS qui vous fait passer par des sentiers de forêt, les arrêts au milieu de nulle part pour changer la couche du bébé au cas où ça le calmerait, puis pour le faire téter. À leur époque, ils pouvaient, en prime, se perdre sur la route…
Je nous ai admirés, nous adultes, de rester une équipe dans ces moments tendus ; de se sentir monter en pression, de se contrôler pour les faire redescendre et ne pas ajouter au tableau une engueulade (pour ça, mes parents m’ont laissé de beaux souvenirs).
Je me suis admirée, moi : ma force physique comme mentale d’être en apnée pour que le trajet se passe au mieux alors que la grande a mal à la gorge, mal au coeur et qu’elle veut, elle aussi, ma main, pas la droite, la gauche, celle que je tends à petit frère. On est fortes, nous les femmes, pour s’oublier totalement : oublier notre corps et ses torsions, nos fesses mouillées de pluie, nos ventres vides, nos montées de lait, pour le bien de nos enfants. On est très fortes.
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